La formation IUFM, parlons-en. (1/2)
Déjà plus de 500 visites depuis la création du blog. Si j'avais su ça... Merci à tous de venir me lire, ça fait quelque chose de savoir qu'on peut intéresser les gens :) Les commentaires sont toujours à votre disposition si vous voulez me dire quoi que ce soit (vazy quoi lache tes com').
J'ai promis, j'ai juré, je parle de l'IUFM. Ca risque d'être long alors je vais faire ça en deux ou trois articles je pense. Je vais commencer par ce qui concerne la formation disciplinaire. C'est à dire pour ma part, comment on m'a appris à enseigner l'austro-hongrois.
A l'heure où mes jeunes collègues fraîchement sortis de la fac se battent à temps complet avec nos insupportables mioches, je me sens évidemment solidaires de leur désarroi quant à la disparition de la formation. Pour les non-initiés, les profs de maintenant finissent la fac, passent le concours et POUF les voila déja expulsés seuls en face des enfants, avec pour seul soutien la visite - même pas hebdomadaire - d'un prof plus expérimenté portant le nom pompeux de "tuteur".
La jeune prof d'Indochinois de Jurassic Park fait partie de ces nouveaux profs. Elle galère à mort, mais pas plus que moi lorsque j'étais néo-titulaire, fraichement débarquée de Petite-Ville-de-Province. Pourtant moi, j'avais fait le "stage" le vrai, avec la "formation" qui va avec.
Automne 2008 : Après un master de littérature Austro-Hongroise du XVIe siècle, je me lance dans l'aventure CONCOURS. 'fin, le CAPES parce que l'agreg j'y crois deja plus à l'époque. Un an de préparation, pendant lesquels j'ai lu 4 livres de 900 pages et vu 10 fois ce film pourri qui raconte l'histoire d'une orpheline devenue gouvernante dans un chateau-qui-fait-peur, habité par un mystérieux monsieur Quequechose qui a enfermé sa femme devenue folle dans le grenier, pour l'épreuve d'analyse du film, et j'ai appris par coeur tout ce qui s'est passé pendant les mandats des présidents Serbo-croates entre 1933 et 2006.
Tout ça, ça sert juste à passer le concours, et ça sert plus à rien après. Mais au moins, jsuis super calée sur les présidents serbo-croates entre 1933 et 2006, je peux briller en société, ou gagner à un jeu télévisé. Puis bon l'ambiance concours. Le truc horrible. Les profs avaient leurs favoris à qui ils refilaient des bons plans pour s'en sortir, et les étudiants redoublants frustrés avaient fait LA LISTE : un tableau en trois parties dans lequel était inscrits tous les noms des étudiants de la prépa, tu étais soit dans la case "OUI, C'EST SUR", soit dans la case "PEUT ETRE, PAS SUR", soit "NON, CERTAINEMENT PAS". C'est à dire ils avaient prévus qui allait l'avoir et qui ne l'aurait pas. VE-RI-DI-QUE.
La blague, c'est qu'aucun des redoublants frustrés inscrits en "OUI C'EST SUR" ne l'a eu et que la plupart des "NON CERTAINEMENT PAS" l'a eu. Devinez dans quelle case j'étais...
Deux fois par semaine on allait à l'IUFM pour la didactique. L'IUFM, lieu magique, toujours vide, où les gens sont gentils, où les secrétaires t'envoient même pas chier (ceux qui sont passé par la fac savent de quoi je parle), où tu bois beaucoup de café parce que tu as beaucoup de pauses. L'IUFMoù il y a 4 salles informatiques immenses toujours inocupées et cinq mecs payés à faire la maintenance informatique, c'est à dire rien puisque personne n'utilise les ordinateurs. L'IUFM qui est composés de dizaines de salles de cours suréquipées (videoproj, système de son, TBI...) mais vides d'étudiants.
L'IUFM au début ça te donne un peu l'impression de jouer dans la cour des grand
- Hey salut Erz, tu deviens quoi depuis le temps ?
- Salut...euh...toi ! toujours à la fac ? Moi ça va, jsuis à L'IUFM !
- Waaah j'adore ce sac !
- Je vais l'acheter, m'en faut un pour aller à L'IUFM !
Bon, mais la fierté d'avoir intégré l'IUFM ça dure pas longtemps en fait.
En première année (avant le concours) on fait de la didactique. C'est à dire un truc ultra-théorique sur comment bien apprendre aux petits enfants. Quand je dis ultra-théorique, c'est vrai. On nous parle avec des mots barbares, discrimination auditive, segmentation de la chaine parlée, méthode actionnelle, pédagogie différenciée. A l'époque ça me faisait tellement rire que j'en faisais mes statuts facebook que les gens commentaient de "???" et autres "cékoiça ?". Ca devait nous préparer à L'Epreuve sur dossier du concours. Tu présentais un dossie qui était souvent composé d'extraits de manuels scolaires et fallait dire, usant de mots barbares, pourquoi c'etait bien ou pas bien pour les petits nenfants, et comment t'allais rendre ça bien, selon quelle méthodologie, de quelle année.
C'est là que t'apprenais que tu devais utiliser la méthode actionnelle, c'est à dire centrer l'apprentissage de l'élève autour d'un projet et le rendre ACTEUR de son apprentissage. Oh comme c'est beau. Sur le papier, ça fait rêver :
- Ah ben, je vais pouvoir leur faire construire une réplique d'avion A380 taille réelle, on se demandera d'abord ce qu'il nous faut savoir pour arriver à le construire. Ensuite on va faire les plans, rechercher les bons matériaux, et faire le point sur les capacités de chacun. Puis la classe sera divisées en 4 équipes selon les aptitudes de chacun et ils bosseront de manière totalement autonome et dans le calme sur une partie du projet qui a la fin sera finalisé par un merveilleux travail de classe alimenté par l'esprit vif et plein d'envie d'apprendre de chacun. L'avion volera et tout le monde aura appris. On évaluera toutes les étapes du projet, sans faire une évaluation finale, un contrôle quoi.
(moi expliquant au monde l'approche actionnelle)
Bon je vous fais pas un dessin. Je vous laisse juste imaginer ce que ça peut donner en classe.
(comment ça le gros bordel ? bah...peut-etre pas quand même...'fin...z'avez pas tort en fait...)
Et puis cette épreuve franchement, c'était du 50/50, un coup oui, un coup non, t'avais du bol ou t'en avais pas.
Un jour, j'ai passé une "colle", mot pompeux pour dire un entrainement à l'épreuve, avec un de nos formateurs, Monsieur Tropflippant, prof d'austro-hongrois dans la prépa lettres du Henri IV de Petite-Ville-de-Province. M. Tropflippant, qui n'avait pas vraiment vu d'élèves de collège depuis longtemps, me fait passer sur un dossier qui parle du film où y a un ptit garçon d'une ville du nord de l'Empire, où ils ont un accent impossible à comprendre, dont le père et le frère travaille à la mine, qui veut devenir danseur de ballet. D'après M. Tropflippant, je me plante royalement, il m'offre généreusement un 5/20 qu'il agrémente d'un magnifique "C'est bien mal barré, Mlle Erzébeth".
Cette vraie-fausse épreuve s'est suivie d'un crise de nerfs grandiose et de mon envie de tout abandonner. J'avais bossé comme une malade et on me dit ça, là comme ça, "c'est bien mal barré". C'est Petit-Copain de l'époque qui a signé et renvoyé à ma place la confirmation de ma venue aux oraux, moi je ne voulais plus y aller.
Finalement quelques jours plus tard, j'appelle la gentille formatrice austro-hongroise, et lui demande une autre colle pour ne pas partir aux oraux sur cet échec cuisant. Elle est gentille alors elle me dit oui, me fait passer sur un dossier vaaaachement plus facile, et me dit à la fin "bah là vous auriez 12 ou 13 au concours" et je me dis OUF si j'ai un truc comme ça et que j'ai 12, c'est pas perdu !
Je vais aux oraux du concours, je tombe sur presque le MEME dossier qu'avec gentille formatrice. Tout est clair et prêt dans ma tête. J'avais enlevé mon piercing et teint mes cheveux en brun. Le jury m'écoute en souriant et en hochant la tête à chaque phrase. J'ai 18.
Coup de bol, je vous dis...
Le 15 juillet j'ai les résultats, YOUPI, j'ai mon concours. Et je suis classée 200e sur 950, et accessoirement troisième de mon académie. Ma petite revanche sur tous ceux qui ne croyaient pas en moi et mes cheveux rouges, dont M. Tropflippant...
Rentrée 2009 : Je commence le stage dans un tout-petit-collège au fin fond de la campagne. Je fais 8 heures de cours, j'ai deux classes une 5e et une 4e. Et 12 heures de formations environ, le jeudi la fameuse formation disciplinaire et le vendredi la formation inter-disciplinaire, qui vaut un article à elle toute seule.
Me voici au milieu de 25 profs d'austro-hongrois. Je suis la seule qui a les cheveux rouges, et qui a l'air d'avoir une vie fun. On a, en vrac : des premières de la classe très studieuses, des filles de 25 ans au look hyper mémère, des mamans ou futures mamans d'une trentaine d'années qui parlent bébés (argh) à toutes les pauses, des mecs coincés chemise-pantalon à pince, et moi qui ne me sent pas vraiment à ma place dans tout ça... Ah si y avait un mec sympa, un peu babacool-je-m'en-foutiste, qui est parti en novembre en pleine deprime. Bon..
Et le pire c'est que je suis tres angoissée, je pose beaucoup de questions, je parle de mes malheur au collège. J'ai appris plus tard que ca faisait chier tout le monde, tant mieux. Sauf qu'à cause de ça, les formateurs s'affollent, pensent que je ne vais pas passer l'année, et me surchargent de visites et de rapports alors que les autres n'en n'ont que deux. Moi j'ai du en avoir six en tout...
Le groupe se prend au sérieux à mort, moi je m'emmerde à fond. Des intervenants (des profs en exercice) viennent nous présenter des séquences de cours, on réfléchit dessus, on dit ce qu'on ferait, ce qu'on ferait pas, on propose notre version. C'est presque ça pendant un an. On nous ressort de l'actionnel en veux-tu en voila, une intervenante (qui travaille à Super-Bahut, le Louis Le Grand de Petite-Ville-de-Province) nous fait sortir dans le jardin pour nous faire voir la soucoupe volante grandeur nature en trois dimensions en adamantium réalisée par ses élèves dans le cadre d'un projet actionnel. On discute programme. J'entend des trucs hallucinants "Oh ben cette partie a déja été vue en 6e, vous ne la refaites pas, vous ne feriez que perdre du temps, et vous ne bouclerez pas votre programme !" Genre mes élèves sont de supers génies qui ont tout retenu d'une année sur l'autre et le plus important c'est que je BOUCLE MON PROGRAMME ?
Beaucoup d'intervenants sont juste chiants à mourir et je ne me souviens absolument de rien de ce qu'ils ont pu me dire. La plupart bossent dans de supers collèges/lycées, avec de supers gamins.
Toutefois, je me souviens particulièrement de quatre d'entre eux qui sortent totalement du lot. Ils étaient différents, plus humains, plus marquants, je ne sais pas très bien, en tout cas, ils m'ont marquée pour des raisons très diverses :
Marie-Chantal Superprof. Cette femme m'a fait PLEURER en formation. Mais vraiment. Elle est venu trois ou quatre fois pendant l'année. Marie-Chantal Superprof était prof d'Austro-hongrois dans un minuscule collège d'un minuscule village du Cantal, une classe de chaque niveau, 12 élèves par classe. Elle arrivait avec de superbes séquences, articulées autour d'un super manuel même pas édité depuis 15 ans, calée TICES à fond, 10 faits de langues (points de grammaire si vous voulez) appris par séquence, autonomie des élèves, pédagogie différenciée, interactivité, projets actionnels et avions en adamantium, tout y était. Marie-Chantal était aussi très gentille. la première fois elle nous a généreusement offert ses plans de super-séquences. Que j'ai essayé d'appliquer...
Ahem. Comment dire, ça n'a pas aussi bien fonctionné que ce qu'elle disait, les élèves s'en foutait (alors que moi je trouvais ça GENIAL quand Marie-Chantal en parlait) , moi j'avais l'impression d'etre en représentation avec un truc qui ne me ressemblait pas du tout. La deuxième fois qu'elle est venue, elle nous a refait une superbe démo et j'ai été prise de panique tout à coup : je ne pourrais jamais refaire ça, je serais jamais comme vous madame, et avec moi ça marche pas, et je suis nulle, nulle, nulle, etc... OUI j'en ai pleuré. J'étais fatiguée de ces formations de merde où on nous amenait de superbes documents inutilisables avec de vraies classes, écoeurée, j'ai pleuré de rage, jalouse de voir des gens pondre un aussi bon boulot et arriver à l'utiliser. Jusqu'à ce que je réalise que peut-être que Marie-Chantal n'avait pas de vie, on savait qu'elle préparait ses voyages scolaires pendant ses vacances dans l'Empire, et qu'elle devait bosser tous les week-ends et jours fériés pour préparer ses super-séquences.
Erik Profdepécé. Prof en collège pas ZEP mais pas cool non plus. Génie des TICE, ce genre de prof hyper scientifique pour qui tout parait logique et facile et qui a du mal à t'expliquer clairement les choses mais je l'adorais malgré tout. Il faisait faire des trucs de ouf à ses gamins avec un PC, des dépliants, des vidéos, des photos-montages, il utilisait tableau numérique, vidéo-proj et tout ces trucs technologiques avec lesquels j'aurais adoré travailler (mais Jurassic Park ne possède rien de cela). Mes notes pendant ses cours n'étaient que des listes de logiciels que je trouvais passionnants et indispensables sur le moment, puis en fait bah... j'ai quasiment rien utilisé depuis. Ou ptet une fois, j'ai téléchargé une vidéo de Lady Gaga depyuis Youtube avec un des logiciels qu'il m'avait donné... Des fois il nous montrait un truc pouf-pouf en deux secondes et vazy je te mets sur le PC et tu le refais toute seule. Et tu galérais pendant une heure, et tu chialais parce que t'arrivais à rien et que de toute façon t'arriverais jamais à rien (J'ai BEAUCOUP pleuré cette année là). Mais monsieur Profdepécé, même s'il n'expliquait pas très bien était cool et patient, et il a validé, malgré tout, mon C2I donc bon...
Harry Dupon. Sans "t" ni "d", c'est fait exprès. Monsieur Dupon, si vous vous reconnaissez, sachez que j'étais follement amoureuse de vous. Harry était un prof NORMAL, avec un nom de famille NORMAL, qui utilisait un manuel NORMAL, avec des élèves NORMAUX. Pas de super-séquences à la Marie-Chantal Superprof, pas de vidéo-projecteur 3D relié à un tableau numérique intéractif tactile à la Erik Profdepécé. Non. Monsieur Dupon nous parlait normalement, comme si nous étions de vieux amis sans faire de différence d'âge ou d'expérience, et nous présentait modestement son travail, en riant lui-même de trucs qu'il trouvait un peu exagérés "Bon là, ouais je vous propose de leur faire faire une discussion par deux, mouais je l'ai mis mais bon, j'ai jamais réussi à le faire, vous imaginez bien" . Monsieur Dupon donnait des conseils avisés, modestes, mais souvent efficaces. Et puis ce charme... Il avait bien, je pense, 15 ans de plus que moi, et il n'était pas spécialement beau mais il était juste irrésistible, dans sa façon de parler, de se tenir, de nous regarder dans les yeux quand il répondait à une de nos questions... Monsieur Dupon a eté ma seule et unique raison de venir en formation à la fin de l'année.
Intervenante Géniale. Dont je ne me souviens plus du nom hélas. Elle n'est venue qu'une fois. Jeune femme jean-baskets super cool, la prof que j'aurais aimé avoir. Elle avait travaillé 5 ans dans les Terres du Neuf-Trois (ou du Neuf-Quatre, mais c'est pareil...) et 3 ans dans la ZEP super-pas-fun de Petite-Ville-de-Province. ENFIN. Quelqu'un qui avait connu le pire et venait nous en parler ! Et ben dans la bouche d'Intervenante Géniale c'était même pas flippant. Elle prenait beaucoup de recul et tournait beaucoup de situations difficiles en dérision. Elle avait tout un tas d'idées géniales et pas trop difficiles à appliquer, nous a montré des vrais travaux d'élèves réalisables (et pas des soucoupes volantes comme nous avaient montré les profs Superprof-like au début de laformation). Elle connaissait les bahuts sans sous, les élèves violents, les Classes Spéciales et Adaptées.. Elle nous a appris de VRAIS trucs, genre à quoi sert un rapport d'incident et comment le remplir, à qui s'adresser en cas de problème, comment gérer une situation d'incident sans l'agraver,... Elle en avait bavé c'est sûr, mais elle donnait beaucoup d'espoir parce qu'elle était toujours souriante, jolie, pas trop abimée par la folie des ZEP, et elle-même pleine d'espoir. Cette personne a été un souffle d'air frais à la fin de l'année, et un vrai modèle pour moi par la suite. Je repense parfois à certains de ses conseils, ou même juste à son optimisme pour me redonner une raison de pas tout lâcher.
Je garde quoi, au final, deux, trois trucs positifs de la formation. Dont deux personnes. Ca fait pas beaucoup sur deux ans. Pourtant c'était beaucoup de temps perdu, mais pas si inutile, on en garde quelques trucs.
Et puis la formation disciplinaire c'était dejà beaucoup plus utile que la formation générale, Ô moment grandiose de ma vie. Comme je l'ai déja dit, la formation générale mérite un article détaillé à elle toute seule. J'écrirais ça un de ces jours...