Lettre ouverte
Cher monsieur le psychiatre,
Je ne suis pas arrivée chez vous par hasard, en ce lundi soir pluvieux. Je n'ai rien joué, je n'ai pas menti, je n'ai pas exagéré, je vous ai parlé timidement mais avec sincérité de ce qui se tramait dans ma vie.
Je vous ai dit à quel point mon travail et les conditions dans lesquelles je devais l'exercer étaient difficiles, ce que vous avez bien voulu comprendre. Je vous ai parlé des agressions, de la violence, du manque de soutien et l'abominable gestion dans mon établissement.
Je vous ai raconté comment la vie à Paris m'était douloureuse et comment les problèmes « normaux » de la vie me semblaient insurmontables chaque jour.
Je vous ai parlé de ma famille et des problèmes rencontrés par mon petit frère, par certains de mes oncles et tantes, par mon père...
Je vous ai fait part de ma souffrance concernant mes difficultés à vivre loin de mes amis et mon conjoint. De mon stress et de mes difficultés à le gérer, de ma fragilité, de mes crises de larmes et de mes problèmes de sommeil.
Je n'ai rien caché de moi lorsque vous m'avez reçue dans votre cabinet.
Vous m'avez répondu que la vie était difficile pour tout le monde.
Que les quelques cas de dépression et tentatives de suicide rencontrés dans ma famille ne justifiaient pas qu'on s'attarde sur mon cas.
Qu'il fallait que je prenne du recul et que je ne m'engage pas dans mon travail.
Qu'il fallait simplement que je me lève tôt et me couche à heure fixe pour retrouver le sommeil.
Qu'il fallait plutôt que je m'inquiète de perdre les quelques kilos que j'ai en trop si je voulais vivre longtemps.
Vous m'avez supprimé tous les médicaments, accordé deux semaines d'arrêt, et m'avez demandé de revenir dans 5 mois.
Vous avez même osé me donner des conseils pour enseigner dans ma situation...
Certes, je ne suis sûrement pas bipolaire ou cyclotimique. Certes, mes troubles de l'humeur ne sont peut être pas dus à quelque chose que l'on va traiter médicalement. Certes mon discours est cohérent et j'ai réussi plus de choses dans ma vie que je n'en ai échouées.
Mais monsieur, ce soir je suis effondrée. La confirmation par un professionnel que je ne suis pas « malade » est le plus gros choc de ma vie. Je traine depuis des années cette tristesse, cette sensibilité exacerbée, ces angoisses, ces pensées suicidaires, cette nervosité, et enfin je me disais que j'allais mettre le doigt sur quelque chose, entamer une thérapie, traiter tout ça et en ressortir plus confiante, plus apaisée, plus grandie...
Mais non, je n'ai rien. On recommence tout à zéro. Et je retourne travailler dans trois semaines.
Laissez-moi vous dire, monsieur, que je ne pourrai pas. Que j'ai besoin de fuir cet endroit malsain. De rester ici, en province, près de mon conjoint qui soutient mes kilos superflus et mon désespoir chaque jour à bout de bras, qui va me laisser tomber ou pire, y laisser sa santé lui aussi, si rien ne change pour moi. Que j'ai besoin de soigner ce qui me ronge, ce dont on n'a pas parlé puisque nous sommes restés sur mon éventuelle cyclotimie, sur ce mal qui, s'il n'est pas d'ordre physiologique, ce que je veux bien croire, existe bel et bien malgré tout.
Ce soir c'est une patiente désemparée, plus déstabilisée qui écrit sur ce qui lui reste pour exprimer son malaise.
Je suis trop faible pour travailler dans un environnement violent, sans soutien aucun, mais je suis aussi trop faible pour affronter la vie. Trop faible pour me lever demain et subir une autre journée. Trop faible pour me prendre en charge, gérer un appartement, un compte bancaire, des problèmes administratifs. J'en ai rien à foutre de vivre jusqu'à 90 ans, le moins longtemps sera le mieux. Et ça vous ne l'avez pas compris.
J'ai fait un énorme pas en voulant prendre ma santé en main, et me retrouve d'un coup sans rien. A croire que vous n'avez rien écouté de mes angoisses, de mes problèmes et êtes restés sur ce mot « cyclotimie » mentionné par un généraliste un peu aventureux. Une fois prouvé que la cyclotimie n'était pas mon problème, vous n'avez pas cherché à savoir si quelque chose d'autre clochait.
Ne plus se sentir capable d'affronter la vie et se sentir soudain abandonnée, je vous jure qu'il n'y a rien de pire.
Et si je ne suis plus capable, je ne me battrai plus, je n'en ai plus la force. J'ai voulu qu'on m'aide, je me retrouve à nouveau seule avec mes angoisses et mes peurs. J'en suis à espérer d'être renversée par une voiture ou atteinte d'une maladie incurable qui ne mettra que quelques semaines à me tuer. J'en suis à vouloir quitter au plus vite tout ce bordel qui s'appelle la vie et que je n'arrive plus à gérer.
Oui j'en suis là ce soir, monsieur le psychiatre, effrayée, dépassée, seule et effondrée.