Au final, j'ai servi à quoi ?
C'est la question que je me pose en cette fin d'année, la question que je me suis posée toute la journée.
On reviendra sur mon expérience d'un an à Choupi-Collège, autant vous dire que ça n'a rien à voir avec ce que j'ai vécu jusque là. Mais aujourd'hui, je fais un mini-bilan de l'année, j'essaie d'observer les progrès de mes élèves et c'est mitigé. Dans ce billet, je me pose des questions qui resteront sans réponses, mais ce n'est pas le but d'en trouver.
Une fois n'est pas coutume, j'ai fait aujourd'hui en 4e sport-de-ballon-un-peu-con une évaluation dite sommative, un gros contrôle, un big test, sur tout un chapitre. Ce satané Present Perfect était à l'honneur ainsi que le vocabulaire de l'aventure, du voyage, de la jungle. Vocabulaire, grammaire, connaissances, tout y était. J'ai cru bêtement que quelques trucs étaient entrés dans leurs crânes ces deux derniers mois. Et bah non.
Rien. Zéro.
Qu'est ce que j'ai fait ou pas fait pour en arriver là ? Non, je ne suis pas allée trop vite. Ca fait plus de 2 mois qu'on est sur ce chapitre, on a fait environ 1855457 exercices et 3h de révisions.
Que retiens un élève de 4e de ses cours d'anglais ? Ses cours de 6e. Oui monsieur, oui madame, une expression écrite sur le present perfect = 90% de présent, du can, du must, du rien à voir, du aucun lien fils unique.
La question que je me pose c'est "est-il trop tard en 4e pour accumuler de nouvelles connaissances qui soient durables ?" est-ce que je rate quelque chose, est-ce qu'il y a un moyen plus efficace de les faire retenir quelque chose ou est-ce que c'est un simple manque d'intéret et de travail ? Dans ma Choupi-Ville, autant vous dire que l'austro-hongrois ne faisant pas partie de la sacro-sainte trinité 'français-maths-histoire' est une matière relativement négligée par les choupi-élèves.
Avec le recul, je me dis juste "bad day", les jours fériés à répétition, les voyages scolaires, les emplois du temps modifiés ne sont pas propices au travail, ni pour eux ni pour moi. Mais il suffit que je jette un coup d'oeil au paquet de copies pour que ça me donne envie de me jeter par la fenêtre du haut de mon rez-de-chaussée. Aucun effort, aucune logique, désespoir.
Illustrons mon propos par quelques exemples.
Vocabulaire (qu'on a vu, revu, répété, écris, réécris...):
Plusieurs fois "poisonous" est traduit par "poisson"...
DONC. Déjà, mec, meuf tu es en QUATRIEME. Tu sais donc que POISSON se traduit FISH. Ensuiiiite, tu sais que nous avons étudié le vocabulaire de la JUNGLE, donc des plantes, des animaux qui pourraient éventuellement être VENENEUX. Est-ce que nous avons étudié le vocabulaire de la pêche ? NON. Tu vois, élève où je veux en venir ? Non ? Tu es sûr ? ...
"Bank", hum, donc élève, en classe, nous avons vu que le mot veut dire "banque" mais aussi "rive". On l'a répété, plusieurs fois. Nous revoilà dans notre jungle. Dans notre texte, un type tombe à l'eau, un autre l'aide à rejoindre "the bank". Et toi élève, comme 99% de tes petits copains, tu me traduis ça par "banque".
La prochaine fois que je tombe à l'eau en pleine jungle, élève, merci de m'aider à rejoindre la CASDEN la plus proche...
Grammaire
PRESENT PERFECT = HAVE OU HAS + PARTICIPE PASSE ; PARTICIPE PASSE = BASE VERBALE + ED OU TROISIEME COLONNE DES VERBES IRREGULIERS
En boucle, depuis deux mois.
Dans les copies : I forget, I have forget, I has forgot, I forgots, I forgotten, I has forgets ....
Connaissances culturelles
Placer les lieux suivants sur la carte de l'Australie : Ayers Rock, Coral sea, Great Barrier Reef, Sydney Opera House.
Ayers Rock se retrouve au milieu de l'océan Indien, Coral sea au milieu des terres, Great Barrier Reef "chépas" et le Sydney Opera House (qui était dessiné sur la carte) au milieu du pacifique. Mince, j'ai un billet pour Madame Butterfly mais j'ai oublié mes palmes.
Elèves, j'ai compris que vous n'aviez pas révisé. Mais est-ce trop vous demander que de vous poser deux secondes sur un mot. Sydney Opera House. Okay trois mots. Sydney, oui c'est une ville, bravo. Opera, tu peux trouver, si si c'est pas trop dur. Et House, non ça ne veut pas dire docteur. Maison oui c'est ça, bien. DONC est-ce que c'est au milieu de l'océan ? HEIN ?
Voilà, tous les jours, il faut se battre avec ce genre de choses. Je pose encore une question dont on aura pas la réponse, est-il possible qu'un élève se rende compte que ce qu'on lui apprend a toujours un rapport avec ce qu'il sait déjà ? Je ne sais pas dans les autres matières mais en langue c'est certain, jamais d'inconnu, des repères partout. Encore faut-il qu'ils prennent la peine de les retrouver. Ne serait-ce que retrouver les points communs entre le contenu de la leçon et le sujet du test, par exemple, ça serait déjà bien.
Qu'ils arrêtent de bloquer bêtement dès qu'un mot est dans une autre langue, parce que 99% du temps ils le CONNAISSENT ou peuvent le deviner. Qu'ils arrêtent leur mauvaise foi. Ah c'est leur spécialité ça la mauvaise foi.
Vendredi dernier, on bosse nos fameux participe passé. Un élève au tableau, on lui dicte "he jumped", il écrit "he jumpt", je lui demande de corriger, chépaaaa, un autre lui dit "he jumpède quoi !" il répond "ah bah voilà ça je connais !". Je bous. Je vais exploser. Dix fois, vingt fois, trente fois qu'on refait cette putain de prononciation du "ed". Mauvaise foi, il sait, il dit que non, il ne veut pas faire d'efforts.
Ce matin, un classique mais néanmoins toujours agaçant "je ne peux pas faire le devoir, je n'étais pas là vendredi".
- Si tu peux, c'est un devoir sur tout ce qu'on fait depuis deux mois.
- Non mais je veux dire, je ne savais pas.
- Tant pis pour toi, fallait appeler/SMS/skype quelqu'un.
- Oui mais...
- Pas de mais, on y arrivait bien sans internet ni portable quand j'étais au collège.
- Oui mais vous vous étiez sérieux, nous on s'en bat les couilles..
QUI CA "nous" ? Toi ? Ta classe ? Ta génération ? Je suis une vieille croulante qui faisait l'école comme dans les années 50 avec un encrier et une blouse, tu crois ?
Rappel : j'ai 27 ans et je fais moins, bien sûr.
Et il était fier, de sa "génération de glandeurs", fier de me montrer qu'ils n'étaient pas comme moi, fier de créer entre nous un fossé encore plus large que ce qu'il était jusque là.
Je ne crois pas à une génération de glandeur, je crois à quelques paresseux, à quelques fils à papa qui ont tout ce qui veulent sans lever le petit doigt, et à cette nonchalance qui sied à l'adolescence depuis la nuit des temps. Mais je crois à leur mauvaise foi. A une vraie volonté de ne pas pouvoir et de ne pas vouloir. Et en cette fin d'année, je ne la supporte plus. Ni ça, ni leur spontanéité "générationnelle", qui frôle parfois l'insolence. Non élève, tu n'as aucun commentaire à faire sur mon rouge à lèvre, sur la longueur de mes racines, sur la couleur de mes chaussures. Tu as le droit d'être lassé et fatigué, mais pas de tout relâcher le 20 mai. Ni dans ton travail, ni dans ton comportement.
Parce qu'on a fait quand même une belle année ensemble, et là tu gâches tout. Gardons un bon souvenir de cette année, encore un peu de courage...